L’oeuvre est un dessin à la sanguine et au crayon noir sur papier. Il montre une femme assise en équilibre de face dans une posture en contrapposto. Ses bras écartés laissent apparaître un délicat jeu de mains tenant l’esquisse d’un miroir dans la main droite et d’une botte de paille dans la main gauche. L’oeuvre porte au crayon l’inscription suivante : Théâtre d’Angers. Foyer. (la comédie).
Le dessin est mis aux carreaux, sur sept lignes numérotées et quatre colonnes avec les diagonales. La mise au carreaux est une technique de dessin utilisée pour transférer une image à une plus grande échelle, souvent en vue de réaliser une peinture murale. Elle consiste à diviser le dessin original en une grille de carrés, tout en le reproduisant sur la surface de travail en traçant une grille proportionnelle, mais à une échelle plus grande. Cette méthode permet de maintenir les proportions et les détails lors du passage à une taille plus vaste, garantissant ainsi une fidélité visuelle entre l’esquisse et la peinture finale.
Ce dessin est un dessin préparatoire à la réalisation de la coupole du foyer du Théâtre d’Angers peint en 1869 par Alexis Mazerolle. Fort du succès du décor de la coupole du théâtre de Baden-Baden réalisée par le peintre en 1860, il est sollicité pour décorer le théâtre d’Angers, sous la direction de l’architecte Auguste Magne. Il y met en scène des allégories, avec des figures comme la Comédie, la Tragédie, et la Danse, qui ornent le plafond du foyer. Ces figures allégoriques, représentées avec une grande maîtrise de l’anatomie et du mouvement, témoignent de l’érudition artistique de Mazerolle et de sa capacité à concilier tradition et modernité.
Inscrite dans un arc outrepassé comme les trois autres allégories et peinte en grisaille, la comédie du foyer d’Angers reprend exactement la posture et la coiffure du dessin préparatoire. L’oeuvre finale diffère en ce qu’elle représente des éléments du décors non présents dans le dessin comme le miroir, le trône sur lequel est assise l’allégorie les putti ou le drapé qui recouvre tout le bas du corps simplement esquissé dans le dessin et qui explique pourquoi seul le buste est dessiné avec précision.
L’allégorie de la danse est accompagnée de deux putti dont l’un tient un masque et l’autre semble se regarder dans le miroir que lui tend l’allégorie.
Né à Paris, il se forma à l’École des Beaux-Arts sous la tutelle de Michel Martin Drolling. Influencé par la tradition académique, parallèlement à la réalisation de tableaux d’histoire et d’oeuvres religieuses, il se spécialisa dans la peinture décorative monumentale, alliant un sens raffiné de la composition à des thèmes allégoriques et mythologiques, en phase avec le goût du Second Empire.
Il participa pour la première fois au Salon en 1847 avec une toile intitulée La Vieille et les deux servantes et y obtint des médailles en 1857, 1859 et 1861. Son médaillé au salon de 1859, Néron et Locuste essayant des poisons sur un esclave aujourd’hui conservé au Palais des Beaux-Arts de Lille fut très remarqué et encensé par la critique, notamment Théophile Gautier qui parle d’une toile remarquable par la vigueur du ton et du modelé, qui annoncent un robuste tempérament de peintre
Mais c’est bien dans le décor des grandes oeuvres architecturales du Second Empire que s’illustra particulièrement Mazerolle. L’une de ses œuvres les plus célèbres est le plafond de la Comédie-Française, qu’il réalisa en 1864. L’artiste y déploie un style grandiose, où se mêlent la grâce et la majesté des figures allégoriques, s’inscrivant dans la lignée des grandes commandes publiques destinées à magnifier les institutions culturelles françaises.
Au-delà de la Comédie-Française, il a laissé son empreinte dans d’autres lieux emblématiques de Paris. Il participa à la décoration du Palais Garnier, où ses peintures s’intègrent harmonieusement à l’ensemble opulent conçu par Charles Garnier. On retrouve également ses œuvres dans l’Hôtel de Ville de Paris, où il exécuta des fresques en collaboration avec d’autres artistes décorateurs de renom. Hors de la capitale, après le succès de la peinture du plafond du Théâtre de Baden-Baden, une de ses réalisations majeure en province est la coupole du foyer du Grand Théâtre d’Angers où il réalise avec virtuosité quatre allégories en grisaille : la danse, la poésie lyrique, la comédie et la tragédie.
Mazerolle fut également sollicité par de riches commanditaires privés pour décorer leurs hôtels particuliers, notamment dans les quartiers huppés de la capitale. Ces commandes privées témoignent de son succès et de sa réputation dans le milieu artistique et aristocratique de l’époque.
Artiste prolifique et perfectionniste, Mazerolle s’illustra par un travail minutieux, souvent réalisé en collaboration avec d’autres artistes. Ses œuvres sont marquées par un souci du détail et une élégance classique, caractéristiques du style académique.
Tombé dans un oubli relatif au XXème siècle, Alexis Mazerolle est aujourd’hui redécouvert et réévalué, notamment à travers des expositions rétrospectives comme celle organisée au musée de Roubaix, qui a permis de réunir un vaste échantillon de sa production, comprenant des dessins inédits, des études préparatoires pour des tableaux d’histoire, ainsi que des cartons de tapisserie. Son rôle essenteil dans l’embellissement des grands bâtiments parisiens et dans la perpétuation de la tradition académique du XIXe siècle en fait un acteur essentiel de la peinture française de la seconde moitié du XIXe siècle.
La peinture académique et de décoration du XIXe siècle, longtemps reléguée au second plan et stigmatisée sous l’appellation péjorative de « pompiers », a récemment été redécouverte à travers des expositions qui ont permis de réévaluer l’œuvre de peintres tels que William Bouguereau, Alexandre Cabanel et Alexis-Joseph Mazerolle. Ce retour en grâce s’inscrit dans un mouvement de relecture de la peinture académique, une forme d’art intimement liée à des institutions et des doctrines esthétiques souvent jugées de manière simpliste. Cette épithète a, en effet, évolué au fil du temps, désignant tour à tour les styles de peintres comme Jacques-Louis David, ou plus tard ceux de ses successeurs.
L’allégorie de la danse et celle de la comédie, réalisées par Alexis Mazerolle pour la coupole du foyer du théâtre d’Angers en 1869, illustrent parfaitement l’apogée de l’art décoratif du XIXe siècle. Mazerolle, reconnu pour sa capacité à marier rigueur académique et créativité, a su capturer l’essence des thèmes classiques à travers des figures allégoriques dynamiques. La danse, symbolisant l’élégance et la légèreté, est représentée par des mouvements fluides et gracieux, tandis que la comédie évoque le théâtre et l’art dramatique par des postures expressives et joyeuses. Ces œuvres, qui mêlent subtilité des couleurs et maîtrise des jeux de lumière, témoignent de la recherche de Mazerolle pour créer une atmosphère immersive. En intégrant ces éléments dans un cadre théâtral, il contribue non seulement à l’enrichissement de l’esthétique du lieu, mais aussi à la valorisation du théâtre comme un espace de culture et d’émotion. L’importance historique et artistique de ces allégories renforce la place de Mazerolle parmi les grands décorateurs du Second Empire et de la Troisième République, consolidant ainsi son héritage dans l’art français.
La redécouverte de peintres comme Mazerolle nous invite ainsi à reconsidérer la richesse et la diversité de la peinture académique du XIXe siècle. Non seulement cette peinture n’a jamais perdu son lien avec les valeurs décoratives, mais elle a su, à travers la décoration murale et l’intégration de différents arts appliqués, incarner un idéal d’œuvre d’art total, une vision qui trouve ses échos dans des créations emblématiques comme l’Opéra de Paris ou le Capitole de Toulouse. C’est dans cet espace de dialogue entre peinture et architecture que s’épanouit toute la grandeur de l’art académique, loin des clichés qui l’ont longtemps associé à un académisme figé et dépassé.