L’oeuvre est un dessin aux trois crayons : noir, rouge et blanc présentant un nu féminin assis en position de délassement, les jambes croisées. La jeune femme a une chevelure rousse dont les boucles retombent sur sa nuque. Un bras s’appuie sur un parapet esquissé tandis que l’autre maintient délicatement le menton du modèle. La jeune femme est assise sur un drapé qui sert de fond à ses jambe et évoque le décor.
Cette figure sensuelle et alanguie reprend une pose très utilisée par Mazerolle dans nombre de ses décors architecturaux. On la retrouve notamment dans la Venus marine du plafond de l’hôtel Mazewski à Paris en 1882, ou dans la ville de Bercy dans le projet de l’artiste pour le décor de l’escalier d’honneur de la mairie du XIIe arrondissement de la ville de Paris en 1879. Cela laisse naturellement penser que ce dessin est l’esquisse d’un projet de décor monumental, probablement une allégorie peinte sur plafond. Ces poses allégoriques habituelles depuis la renaissance prennent ici un tour sensuel, quoiqu’il faille remarquer que la figure définitive n’est pas forcément un nu. En effet Mazerolle comme beaucoup de peintres académiques dessinait systématiquement les esquisses de ses personnages nus afin de maîtriser au mieux les proportions et les conformations du corps une fois habillé.
Né à Paris, il se forma à l’École des Beaux-Arts sous la tutelle de Michel Martin Drolling. Influencé par la tradition académique, parallèlement à la réalisation de tableaux d’histoire et d’oeuvres religieuses, il se spécialisa dans la peinture décorative monumentale, alliant un sens raffiné de la composition à des thèmes allégoriques et mythologiques, en phase avec le goût du Second Empire.
Il participa pour la première fois au Salon en 1847 avec une toile intitulée La Vieille et les deux servantes et y obtint des médailles en 1857, 1859 et 1861. Son médaillé au salon de 1859, Néron et Locuste essayant des poisons sur un esclave aujourd’hui conservé au Palais des Beaux-Arts de Lille fut très remarqué et encensé par la critique, notamment Théophile Gautier qui parle d’une toile remarquable par la vigueur du ton et du modelé, qui annoncent un robuste tempérament de peintre
Mais c’est bien dans le décor des grandes oeuvres architecturales du Second Empire que s’illustra particulièrement Mazerolle. L’une de ses œuvres les plus célèbres est le plafond de la Comédie-Française, qu’il réalisa en 1864. L’artiste y déploie un style grandiose, où se mêlent la grâce et la majesté des figures allégoriques, s’inscrivant dans la lignée des grandes commandes publiques destinées à magnifier les institutions culturelles françaises.
Au-delà de la Comédie-Française, il a laissé son empreinte dans d’autres lieux emblématiques de Paris. Il participa à la décoration du Palais Garnier, où ses peintures s’intègrent harmonieusement à l’ensemble opulent conçu par Charles Garnier. On retrouve également ses œuvres dans l’Hôtel de Ville de Paris, où il exécuta des fresques en collaboration avec d’autres artistes décorateurs de renom.
Mazerolle fut également sollicité par de riches commanditaires privés pour décorer leurs hôtels particuliers, notamment dans les quartiers huppés de la capitale. Ces commandes privées témoignent de son succès et de sa réputation dans le milieu artistique et aristocratique de l’époque.
Artiste prolifique et perfectionniste, Mazerolle s’illustra par un travail minutieux, souvent réalisé en collaboration avec d’autres artistes. Ses œuvres sont marquées par un souci du détail et une élégance classique, caractéristiques du style académique.
Tombé dans un oubli relatif au XXème siècle, Alexis Mazerolle est aujourd’hui redécouvert et réévalué, notamment à travers des expositions rétrospectives comme celle organisée au musée de Roubaix, qui a permis de réunir un vaste échantillon de sa production, comprenant des dessins inédits, des études préparatoires pour des tableaux d’histoire, ainsi que des cartons de tapisserie. Son rôle essenteil dans l’embellissement des grands bâtiments parisiens et dans la perpétuation de la tradition académique du XIXe siècle en fait un acteur essentiel de la peinture française de la seconde moitié du XIXe siècle.
La peinture académique et de décoration du XIXe siècle, longtemps reléguée au second plan et stigmatisée sous l’appellation péjorative de « pompiers », a récemment été redécouverte à travers des expositions qui ont permis de réévaluer l’œuvre de peintres tels que William Bouguereau, Alexandre Cabanel et Alexis-Joseph Mazerolle. Ce retour en grâce s’inscrit dans un mouvement de relecture de la peinture académique, une forme d’art intimement liée à des institutions et des doctrines esthétiques souvent jugées de manière simpliste. Cette épithète a, en effet, évolué au fil du temps, désignant tour à tour les styles de peintres comme Jacques-Louis David, ou plus tard ceux de ses successeurs.
L’une des critiques souvent adressées à cette école de peinture est la supposée perte du lien entre la peinture et l’architecture, et plus largement, entre la peinture et les arts décoratifs. Cette vision réductrice ignore pourtant la place prépondérante que de nombreux artistes académiques ont occupée dans le domaine de la décoration monumentale et intérieure. À l’instar de Mazerolle, ces artistes ont su marier la peinture et l’architecture dans des œuvres décoratives destinées à des édifices prestigieux. Les commandes des pouvoirs publics et des grandes familles fortunées, comme celles des Péreire ou de la marquise de Landolfo-Carcano, témoignent de l’importance accordée à ces travaux, souvent invisibles pour la critique d’art de l’époque, car non exposés dans les Salons officiels.
Le XIXe siècle voit également l’essor d’une véritable fusion entre les arts décoratifs et la peinture. Les artistes académiques, bien loin d’ignorer cet aspect, y ont largement contribué. Mazerolle, par exemple, a travaillé pour les manufactures des Gobelins et d’Aubusson, perpétuant la tradition de la tapisserie et participant à un mouvement plus large de redécoration des espaces publics et privés. Cet engagement dans l’art de la décoration s’étend au-delà des murs, influençant également la renaissance de la mosaïque, la polychromie architecturale, ainsi que l’émergence de l’affiche comme forme d’art au tournant du siècle.
La redécouverte de peintres comme Mazerolle nous invite ainsi à reconsidérer la richesse et la diversité de la peinture académique du XIXe siècle. Non seulement cette peinture n’a jamais perdu son lien avec les valeurs décoratives, mais elle a su, à travers la décoration murale et l’intégration de différents arts appliqués, incarner un idéal d’œuvre d’art total, une vision qui trouve ses échos dans des créations emblématiques comme l’Opéra de Paris ou le Capitole de Toulouse. C’est dans cet espace de dialogue entre peinture et architecture que s’épanouit toute la grandeur de l’art académique, loin des clichés qui l’ont longtemps associé à un académisme figé et dépassé.