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Petite sculpture en bois noirci et verni reposant sur un socle d’essence différente.
Cette sculpture représente un buste à forme humaine laissant deviner un visage.
Sous le socle est gravé P.DEDIEU ainsi que l’année 1957.
Sous l’apparence d’une onde prenant forme humaine, Pierre Dedieu dévoile tout son art dans ce petit buste étrange et à la présence mystérieuse.
Pierre Dedieu est né en 1928 à Boulogne-sur-Mer (Pas-de-Calais), mais c’est en Nouvelle-Calédonie, où il passe l’essentiel de son enfance, que se forgera une grande part de son imaginaire. Le jeune garçon y découvre, fasciné, la puissance symbolique et l’esthétique brute des arts kanaks. Ce choc artistique originel ne cessera d’influencer sa sensibilité créative. Son retour en France, en 1940, au cœur d’un pays en guerre, est brutal. Adolescent timide, peu enclin aux études, Pierre est finalement placé par son père dans l’atelier d’un ébéniste d’art. Ce tournant, vécu d’abord comme une issue par défaut, s’avère fondateur : Dedieu y découvre les gestes, les outils, les bois et la rigueur d’un savoir-faire ancestral.
Son apprentissage approfondi de la restauration de meubles précieux lui confère une maîtrise exceptionnelle du bois, qui deviendra son matériau de prédilection. Au fil du temps, il comprend que c’est dans l’atelier qu’il s’épanouit véritablement, loin du monde, dans l’intimité du geste. Très vite, il éprouve le besoin de créer pour lui-même. Dès le début des années 1950, il imagine des objets sculptés – boîtes, coupes et éléments de mobilier – où formes libres et audace plastique témoignent de sa modernité. À cette époque, il fréquente le cercle d’Alexandre Noll et est invité à exposer par des décorateurs de renom tels que Jean Royère et Jean Pascaud. Son orientation artistique bascule progressivement vers une sculpture autonome, affranchie de toute fonction utilitaire.
Pierre Dedieu s’impose, dès les années 1950, comme une figure singulière de la sculpture française. Il participe à plusieurs éditions du Salon des Réalités Nouvelles, et Michel Seuphor lui consacre un article élogieux dans La sculpture de ce siècle (1959), soulignant la virtuosité de son travail et sa connaissance fine des essences de bois. Pierre Dedieu en explore des dizaines, mêlant essences rares ou communes, tendres ou dures, locales ou exotiques. Il leur applique un sens des patines inouï et sculpte souvent à la gouge – il en utilisait plus de 800 différentes – dans une recherche quasi organique de la forme.
En 1965, il entre à l’Observatoire de Paris comme restaurateur et constructeur d’outils pour les miroirs optiques. Ce poste discret, presque invisible, lui offre un écrin idéal : un atelier isolé dans un lieu voué à scruter l’infini. Là, dans une solitude choisie, Dedieu développe une œuvre profondément intérieure, mêlant abstraction et figuration. Ses sculptures – tantôt architecturales, tantôt corporelles, parfois drapées, masquées ou végétalisées – révèlent une humanité silencieuse, souvent teintée d’un onirisme surréaliste. Certaines figures, peintes, témoignent aussi d’un geste presque pictural.
Son œuvre, bien que discrète et peu exposée, est marquée par une exigence extrême. Il estampille parfois ses pièces au fer comme les ébénistes d’autrefois, et les date, non sans facétie, brouillant parfois volontairement les pistes. En 1991, un hommage lui est rendu à l’Observatoire de Paris lors d’une exposition spectaculaire. Jusqu’à sa mort en 2013 à Valence, Dedieu continue de sculpter, avec une patience infinie, des bas-reliefs et des formes libres invitant au toucher, à l’émotion pure. Son œuvre, rare et sincère, est un hymne vibrant au bois, matière vivante qu’il a aimée comme on aime un être.
Les années 1950 en France sont une période de reconstruction culturelle après les traumatismes de la Seconde Guerre mondiale. Dans le domaine des arts, on assiste à un renouveau créatif, animé par la volonté de rompre avec les formes rigides et idéologiques de l’avant-guerre.
Dans la sculpture comme dans le design, la recherche d’une expression plus libre, plus instinctive et plus proche de la nature devient une obsession pour de nombreux artistes.
C’est une époque où l’abstraction triomphe dans plusieurs disciplines : peinture, sculpture, architecture. Mais cette abstraction prend souvent une tournure organique : au lieu d’être géométrique et froide (comme chez Mondrian ou les constructivistes), elle se développe dans des formes souples, inspirées du vivant.
Dans cette dynamique, la sculpture se libère des modèles classiques et se rapproche de l’essence vitale de la matière.
Des artistes comme Jean Arp développent une sculpture aux formes arrondies, flottantes, évoquant des organismes naturels. Étienne-Martin, dans un registre plus tellurique et symbolique, crée des sculptures qui semblent naître de la terre elle-même. Gérard Schneider et Hans Hartung, en peinture, participent à ce même mouvement de gestualité organique, influençant les sensibilités des sculpteurs contemporains.
Simultanément, dans le monde du mobilier et de l’objet, des créateurs comme Alexandre Noll ou Charlotte Perriand privilégient le travail de la main et la vérité du matériau, refusant l’ornement superflu pour retrouver des formes primitives, naturelles, sensuelles.
Dans cette France d’après-guerre, la sculpture organique apparaît comme une réponse poétique et intuitive à la violence technique du XXᵉ siècle. Elle se caractérise par des formes libres, souvent asymétriques et des volumes doux, sans angles tranchants.
Jean Arp incarne parfaitement cet esprit avec ses sculptures biomorphiques, évoquant des corps, des graines, des galets polis par le temps. Ses œuvres proposent une autre manière de penser l’abstraction : non plus par la rigueur mathématique, mais par l’évocation discrète de la nature vivante.
Alexandre Noll, quant à lui, applique cette même logique dans le domaine du mobilier et de l’objet. Ses sculptures en bois — parfois fonctionnelles, parfois purement plastiques — donnent l’impression de formes nées plutôt que fabriquées, en respectant les veines, les nœuds et les caprices du matériau.
À sa manière, Isamu Noguchi, bien que japonais-américain, rejoint aussi cette esthétique de l’époque : ses meubles et sculptures paraissent croître naturellement dans l’espace, comme des prolongements du paysage.
Ainsi, dans les années 1950 en France, la sculpture organique n’est pas seulement un style : elle est une philosophie de l’art tournée vers la vie, la mémoire archaïque et l’expression de l’essence des matériaux.