Le credo d’Emmanuel Frémiet représente un chevalier croisé vêtu d’une cotte de maille, d’une armure de plates sur les jambes et d’une tunique dont les plis finement ciselés et délicats sont formés par une ceinture. Le chevalier porte une épée et un écu sur lequel sont gravées des armoiries présentant un burelé d’argent et de sinople au franc canton portant un lion passant d’or sur fond d’azur.
La statuette d’une taille importante est hiératique et toute verticale, comme tendue vers le ciel, seuls les bras écartés en croix portant un phylactère rompent cette verticalité. Les bras en croix, comme la devise Credo, je crois, cri de guerre croisé et profession de foi chrétienne, sont une affirmation spirituelle de la part de l’artiste qui comme l’exprime son petit-fils, Philippe Fauré-Frémiet dans la biographie qu’il lui a consacré : Au-dessus d’elles [ses autres figures sculptées], en toute liberté ; Frémiet érige le « credo », tête inclinée sous l’invisible toucher du divin.
Cette statuette, la préférée de Frémiet, se rattache à un modèle original en plâtre polychrome conservé au Musée d’Orsay daté vers 1885 et diffusé en bronze par Frémiet lui-même. Celui-ci travaillait en effet avec un bronzier parisien, More et vendait lui-même ses modèles dans une boutique de la rue du Temple tenue par sa femme. À sa mort, les droits d’édition furent vendus par ses filles à l’éditeur Barbedienne qui en continua la production avec son cachet. La statuette présentée ici porte le numéro 935 et semble être issue de la production de Frémiet.
Le goût pour le naturalisme de l’art de Frémiet se manifeste particulièrement bien dans cette statuette dans la monumentalité, toute en économie de moyen, de la tunique, la fine ciselure de l’armure ou la finesse expressive du portrait montrant retenue et humilité.
On y trouve ce goût de la reconstitution historique que Frémiet pratique dans ses œuvres d’histoire, que ce soit dans ses cavaliers romains et gaulois du Musée des Antiquités nationales. Ces oeuvres portent l’inscription « l’armure et les armes font partie de la collection du musée ». De même, la Jeanne d’Arc revêtue d’une minutieuse armure du XIVème siècle et juchée sur un destrier.
L’œuvre porte cependant un message très personnel, elle est la seule pour laquelle Frémiet a représenté ses traits en un autoportrait et selon Philippe Fauré Frémiet qui rapporte les paroles du sculpteur quelques jours après sa mort, elle correspond à la réalisation d’un vœu cher à l’artiste qu’il exprime ainsi :
Neveu et élève de Rude, Frémiet naît dans un foyer modeste, son père est graveur de musique et sa mère, surveillante à l’Hôpital du midi (Cochin) puis à la Pitié Salpêtrière. Devant travailler tôt, il ne passe pas par les Beaux-Arts, mais apprend le dessin auprès de Sophie Rude sa tante et le modelage auprès du sculpteur Rude. À 16 ans, il devient apprenti lithographe du peintre Werner au Museum d’Histoire Naturelle ou il apprend selon Philippe Fauré Frémiet : « cette sorte de grammaire du sculpteur qu’est l’anatomie, celle de l’animal et celle de l’homme ». Cette expérience crée chez lui une volonté de reproduire le naturalisme animal brut, s’éloignant de « l’art noble » animalier de Barye. Ses premières œuvres sont toutes tournées vers le règne animal : sa gazelle, première œuvre qu’il expose au Salon en 1843, son ours blessé très expressif acheté par l’État en 1850 pour le musée des artistes vivants du Luxembourg ou son éléphant pris au piège réalisé pour l’Exposition universelle de 1878 et ornant aujourd’hui le parvis du musée d’Orsay. Il utilise la sculpture animalière pour figurer la vie primitive et sauvage et certaines de ses sculptures font scandale comme le Gorille enlevant une négresse de 1859, repris en 1887 par le Gorille enlevant une femme qui fut exposé au musée américain d’histoire naturelle de New York et inspira sans doute le film King Kong.
Son œuvre s’intéresse aussi à la préhistoire en vogue sous le Second Empire ou à l’histoire et au Moyen Âge et à l’image du chevalier à travers les figures de Louis d’Orléans, sculpté pour le château de Pierrefonds, de la Jeanne d’Arc de la place des Pyramides en 1874, du chevalier errant du musée des Beaux-arts de Lille ou du Credo de 1885 conservé à Orsay.
Conscient de l’importance de la diffusion de son œuvre, il ouvre son propre magasin à Paris en 1855, publie des catalogues de ses sculptures réalisées en bronzes de tailles réduites et participe aux expositions universelles de 1878 et 1900. Ses œuvres connaissent un grand succès public et se vendent très bien en France, en Europe et particulièrement aux États-Unis. Créant un système d’autoproduction, il ébranle la frontière entre l’œuvre unique sculpturale et l’objet d’art reproductible. Exemple éloquent de ce succès, l’engouement pour sa statuette de Saint-Michel produite en 1875 déboucha sur la commande d’une statue monumentale pour couronner la flèche de l’abbaye du Mont-Saint-Michel.
L’œuvre de Frémiet s’inscrit dans une sculpture naturaliste qui veut traiter l’histoire en se rapprochant de la reconstitution. Ainsi en est-il de ce Credo, mais aussi de la Jeanne d’Arc de Frémiet juchée sur un lourd destrier dont les proportions semblent écraser la jeune fille. Ce contraste fit scandale mais était revendiqué par Frémiet qui se plaisait à représenter la puissance animale qui tranchait avec la fragilité de la Pucelle, mais traduisait sa fougue, de même qu’il voulait se rapprocher de la vérité anatomique montrant qu’un véritable cheval de guerre n’était pas l’élégant coursier du gentleman contemporain. Ce lourd cheval se retrouve d’ailleurs dans le cheval de Montfaucon de l’école vétérinaire de Toulouse. « Fremiet pense donc que Jeanne d’Arc, fille de dix-neuf ans […] attestera bien mieux le pouvoir de l’esprit et de la souveraineté de sa mission frêle sur un puissant cheval de guerre qu’énorme sur un cheval de course. ». L’exactitude des costumes et armures médiévaux qu’on retrouve dans le Credo, le Du Guesclin de Dinard ou l’Etienne Marcel de l’Hôtel de Ville de Paris est à rapprocher des œuvres de ses contemporains comme Jean-Léon Gérôme ou même Viollet-le-Duc qui livre dans son Dictionnaire raisonné du mobilier français de l’époque carolingienne à la Renaissance entre 1858 et 1870 une évolution précise et richement illustrée de l’habillement et de l’armement médiéval.
Ces œuvres de Frémiet ont eu un grand retentissement international dans l’imaginaire médiévalisant de la seconde moitié du XIXème siècle et se retrouvent nombreuses jusqu’aux États-Unis comme les Jeanne d’Arc monumentales en bronze doré de La Nouvelle Orléans, Portland ou Philadelphie sur le modèle de celle de la place des Pyramides, le monument à John Eager Howard à Baltimore ou le Credo du Snite art museum dans l’Indiana.
Faure-Fremiet, P., Fremiet : par Philippe Faure-Fremiet / Philippe Faure-Fremiet. Paris : Plon, 1934
Loyrette, H. (dir.), Allard, S., Des Cars, L., L’art français . [V] . Le XIXe siècle, 1819-1905. Paris : Flammarion, 2006