Les pierres vives des templiers dans l’Aisne

Terre de bois et de pierres, de forêts et de cathédrales qui se dressent vers le ciel, l’Aisne est une terre de patrimoine naturel, historique mais aussi spirituel. L’extraordinaire aventure des templiers dans l’Aisne s’illustre à travers des vestiges exceptionnellement bien conservés. De Laon à Montigny l’Allier au sud du département ils constituent des pierres vives sur le chemin des Templiers qui nous permettent de retracer l’incroyable histoire de ces moines soldats.

Les templiers, idéal de la chevalerie

L’histoire des Templiers nourrit les fantasmes depuis la dissolution de leur ordre et l’exécution de ses chefs par Philippe le Bel en 1314, ils furent pourtant l’expression la plus poussée de l’idéal de la chevalerie, entretenant à parts égales courage, esprit d’aventure et spiritualité. Lorsque fut prise Jérusalem en 1099, son nouveau souverain Godefroy de Bouillon fils du comte de Boulogne puis ses descendants durent organiser sa gestion et sa protection. Mais avec le départ de Jérusalem des chevaliers qui avaient contribué à la conquérir, des bandes errantes se mirent à menacer pèlerins et frontières du nouveau royaume. Aussi vint à l’idée d’un seigneur champenois Hugues de Payns et de son compagnon natif de des Hauts-de-France, Godefroy de Saint-Omer, de fonder une milice dépendant de l’ordre du Saint Sépulcre, alliant vie monastique et combattante. Très vite cette milice se vit installer sur l’esplanade du Temple de Jérusalem et elle devint après son officialisation au Concile de Troyes en 1129 la Milice des pauvres chevaliers du Christ et du temple de Salomon. Cet ordre s’inspirant de la règle monastique de saint Bernard de Clairvaux dont il était proche fut également un excellent gestionnaire de terres à travers des commanderies pour les gérer. Sur le territoire de l’Aisne actuelle les dons à leur égard affluèrent et leur implantation ne compta pas moins d’une cinquantaine de maisons et de commanderies. On retrouve d’ailleurs la trace de la présence templière à travers les nombreux lieux dits « le Temple » ou autres rues du Temple.

La commanderie de Moisy-le-Temple.

Chapelle de la commanderie des chevaliers templiers de Montigny dans l'Aisne près de Brumetz

À l’extrême sud du département, la commanderie de Moisy-le-Temple à Montigny l’Allier est la première étape de ce chemin des templiers qui parcourt l’Aisne du sud au nord. Nichée dans une boucle de l’Ourcq et du Clignon, entourée de prés fleuris aux pentes douces, cette commanderie est avant tout une surprise au bout d’un chemin poudreux. Sa forme rectangulaire est relevée par l’imposante tour d’angle d’un manoir Renaissance, et surtout par l’extraordinaire chapelle gothique dont les larges baies en arc brisé alternent avec les puissants contreforts en travées serrées qui donnent une impression d’élévation que renforce la flèche de la tourelle d’escalier. Olivier et Noëlle François, les propriétaires de la commanderie l’ont patiemment restaurée lui redonnant la splendeur que les siècles lui ont conférée.

Les François ont la passion du patrimoine chevillée au corps : Noëlle François, historienne de formation a grandi dans une abbaye romane tandis qu’Olivier François est secrétaire général de l’Association La Sauvegarde de l’Art Français qui œuvre pour sauvegarder le patrimoine en péril. La commanderie provient d’un don de l’abbaye Saint-Jean-des-Vignes de Soissons et la chapelle a été construite vers 1180 explique Olivier François. Elle se divisait en deux pôles : le pôle monastique avec la chapelle et la salle capitulaire aujourd’hui remplacée par le manoir Renaissance, et le pôle agricole qui engrangeait les richesses de la terre, véritable « Trésor des Templiers » qui a tant fait rêver le roi de France Philippe le Bel et les amateurs de mystères après lui.

Après la chute des Templiers, la commanderie fut rattachée à l’ordre des Hospitaliers qui possédaient déjà un fief non loin, à Brumetz. Au XVIème siècle, le grand prieur des Hospitaliers d’alors, Pierre de la Fontaine transforma la salle capitulaire en la belle demeure d’agrément que l’on voit aujourd’hui avec ses fenêtres à meneaux et ses lucarnes finement sculptées. La chapelle superbement restaurée par les François conserve ses peintures murales en trompe l’œil d’origine et un très beau réseau de voûtes d’ogives à double tore dont les clefs de voûtes sont polychromes et ornées de têtes humaines et de feuilles d’acanthes. Dans le cœur et l’oculus de façade, les vitraux restitués montrent fièrement la croix templière rouge sang. On a été entrainé par les travaux s’amuse Olivier François et la chapelle a été remplie d’échafaudages pendant un an et demi comme à Notre-Dame. C’est d’ailleurs la pierre de Bonneuil-en-Valois dans l’Oise, à une vingtaine de kilomètres, qui a été choisie pour les restaurations, comme à Notre-Dame de Paris. Anecdote amusante, un célèbre chant militaire français la complainte des templiers mentionne la commanderie :

C’était au mois de mai que je fus adoubé 
En la commanderie de Montigny L’Allier
En ce clair jour ma joie ne se put comparer
Qu’à celle des amants qui ont le cœur comblé.

le Couvent de Cerfroid, œuvre de charité de retour des c roisades et seconde étape de notre périple.

Dans l’Aisne la forêt n’est jamais très loin et c’est dans un creux du bois de Brumetz, à 2 kilomètres de Montigny qu’est installé le Couvent de Cerfroid, maison mère de l’ordre des Trinitaires présent aujourd’hui dans le monde entier avec plus de 600 religieux. Son histoire est également en rapport avec les Croisades. De retour de la IIème Croisade, saint Félix de Valois décida de se faire ermite dans les bois épais et abandonnés de Brumetz. Il fut rejoint par saint Jean de Matha et tous deux formèrent le projet d’établir un ordre religieux dont la raison d’être serait le rachat des chrétiens captifs tombés en esclavage en Terre d’Islam. Miguel de Cervantès, l’auteur de Don Quichotte fut un des plus célèbres de ces captifs rachetés à Alger par les Trinitaires. À peine fondé, l’ordre de la Très sainte Trinité pour la Rédemption des Captifs reçut de Marguerite de Blois la terre de Cerfroid en 1194, explique le père Thierry Knecht religieux érudit qui nous guide au milieu des ruines. Car le riche couvent fut détruit durant la révolution et les ruines qui émergent des pelouses et des buissons présentent un aspect romantique que n’aurait pas renié un Delacroix. Les ruines de la chapelle datent de la reconstruction du XIXème siècle arrêtée par la guerre de 1870 et les ruines du cloître XVIIIème ont été restaurées par les Trinitaires.

voûtes souterraines de l'abbaye de Cerfroid, base des trinitaires à Brumetz dans l'Aisne

Sous les bâtiments du couvent, une spectaculaire cave entièrement voûtée de l’époque gothique collecte l’eau des 18 différentes sources qui émergent du terrain et la recueille dans des bassins. En arpentant les pavés luisants on est vraiment projeté hors du temps. Partout la croix rouge et bleue des Trinitaires s’affiche, issue de la croix que virent saint Félix et saint Jean entre les bois d’un cerf venu se désaltérer à une source. Cette source à l’eau claire existe toujours dans le parc du couvent. On peut la voir sous les arbres, surgissant de pierres couvertes d’une mousse séculaire et coulant, claire sur de larges dalles, sans doute les pierres de la Bastille que nous avons récupérées lors de la restauration du pont de la Concorde en 1985 explique le père Thierry. Un clin d’œil de l’Histoire.

En remontant vers Laon on passe par l’ancienne commanderie templière du Mont de Soissons à Serches. Juchée au centre d’un plateau on y découvre un panorama immense, endroit stratégique plein de cette élévation spirituelle chère aux Templiers. Quoique plus petite que celle de Montigny, la chapelle de la commanderie est du même ordre avec ses grandes lancettes et ses contreforts puissants et élevés qui entourent l’abside et en soulignent la verticalité. Colombier et granges, plus récents témoignent de la présence des hospitaliers qui succédèrent en ce lieu aux Templiers.

Chapelle de la commanderie de l'ordre des Templiers à Serches dans l'Aisne

Ultime étape, la commanderie de Laon, place forte de l’ordre.

Enfin, après un cheminement entre les prés et les bois, apparaît au loin le plateau fortifié de Laon, véritable forteresse dont les hautes tours de la cathédrale et de l’ancienne abbatiale Saint-Martin semblent autant de doigts tendus vers le ciel, défi à l’horizontalité des champs qui entourent le plateau autant qu’aspiration spirituelle ardente vers les cieux. Ville stratégique entre toutes, Laon fut une des grandes places fortes de l’ordre du Temple. On accède à la commanderie depuis la cathédrale en passant sous l’arc dormant de la ruelle des Templiers. Si les bâtiments laïcs aujourd’hui transformés en musée sont récents, la chapelle est d’une antiquité et d’une beauté sans pareille. L’édifice roman témoigne du fait que la commanderie de Laon fut une des plus ancienne de France. Il est composé d’une rotonde hexagonale ouverte par un porche surmonté d’un clocher mur percé de deux grandes baies et d’une abside ornée d’une corniche d’arcs en mitre (triangulaires) et de têtes d’un bestiaire fantastique. Le toit en lauze, ces pierres plates de calcaire, renforce l’impression d’ancienneté qui se dégage de la chapelle.

Chapelle de la commanderie de l'ordre des Templiers à Serches dans l'Aisne

Le plan original hexagonal doit être mis en relation avec les citations de Terre Sainte : la rotonde du Saint-Sépulcre de Jérusalem, le dôme du Rocher hexagonal place forte des Templiers mais aussi la rotonde de l’église du Temple de Paris. Mais on doit aussi y voir une vocation funéraire pour ces moines soldats, le plan hexagonal rappelant les monuments funéraires romains et la symbolique du chiffre 8, le huitième jour, image de la résurrection. D’ailleurs, sous l’imposante voûte composée de 8 ogives, un agneau porteur de croix, symbole du sacrifice et de la résurrection du Christ veille sur les pierres tombales dont certaines sont encore en place comme une façon de dire sic transit gloria mundi, c’est ainsi que passe la gloire du monde.

oeuvre en relation dans les collections de la Galerie Theophanos

Credo – le croisé d’Emmanuel Frémiet

Époque : vers 1885